
Il est 20h00, nous sommes le 27 Mars 2020. Entre deux cris de merles, je peux entendre jusqu’au bruit de leurs griffes dans la fourrure lorsqu’ils se grattent. Le monde a soudainement fini par se taire. Silence des activités humaines. Notre monde est en pause. Pas de voiture sur les routes, pas d’avion dans le ciel. Je savoure le quotidien paisible et routinier de cette famille de Blaireaux.
Voilà une heure-et-demi que je patiente à proximité du terrier, crayon à la main, papier sur les genoux. Le soleil s’est couché, la luminosité diminue et la course contre la montre commence. Les blaireaux vont-ils sortir avant qu’il ne fasse trop sombre ? Dans le sous-bois il fait déjà presque nuit quand quatre têtes émergent de la terre. Malgré l’obscurité, les lignes blanches et noires contrastent magnifiquement dans ce flou vespéral. Immédiatement, chacun s’assoit et commence le toilettage individuel ou mutuel.L’épouillage terminé trois des blaireaux se retournent soudainement dans la même direction, intrigués. Ont-ils vu quelque chose ? Je ne sais pas. Tout est sombre. Grâce aux jumelles je perçois quelques détails. Les bandes blanches et noires des trois profiles s’entremêlent. J’ai quelques secondes pour m’imprégner de cette belle image et la coucher en quelques traits rapides sur le papier. Pas de seconde chance. Ils sont déjà partis se nourrir.
Deux mois-et-demi plus tard, je prends enfin le temps de peindre cette image à l’aquarelle. Je veux essayer de retranscrire la douce atmosphère de cette soirée.
Au même moment, une campagne nationale tente de stopper la chasse au blaireau en France. Oui, le blaireau est chassé ; 22 000 sont tués chaque année. On lui tire dessus ou alors on le déterre. C’est à dire que pendant que ces petites familles dorment au fond d’un terrier parfois multicentenaire, utilisé génération après génération, on éventre le sol pour aller les chercher à la pince et les tuer, le tout avec l’aide des chiens qui prennent éveidemment leur part.
Les raisons à cette chasse : se nourrir ? Non. Les dégâts dans les cultures? Faibles et jamais estimés. Les maladies ? Leur chasse en augmente la dispersion. La recherche scientifique ? Aucune. La tradition ? Ça oui. Mais la tradition de qui lorsque la majorité des français rejettent cette pratique ?
Alors, que vous soyez intéressés par la nature ou pas, arpentez la campagne alentour, fouillez discrètement même les plus petits bosquets en suivant les petits sentiers animaux car au bout, vous finirez par trouver un terrier. Alors un soir, tout de sombre vêtu, jumelles autour du cou, asseyez-vous immobile contre un tronc, à distance raisonnable, et ouvrez grands les yeux. Après le coucher du soleil, vous pourriez voir ces têtes noires et blanches émerger.
Et alors, naturalistes ou pas, vous ressentirez immanquablement cette excitation, mêlée d’admiration, qui ne laisse finalement place qu’à l’incompréhension et la colère devant la chasse d’animaux si paisibles. Et comme tout affût, la première fois ne sera sûrement pas la bonne et il vous faudra y retourner. Mais ce ne sera jamais du temps perdu, car assis dans le sous-bois vous observerez le reste de la nature suivre son cours sans nous attendre.
Adrien
