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Garder la brèche ouverte

Faucon pèlerin au loin dans la brume de chaleur. Comme souvent dans ces cas-là, je dessine trop grand. Il est petit, trop petit, dans l’oculaire de ma longue-vue. Je le peins pourtant en grand sur ma feuille de trente par quarante centimètres. Conséquence habituelle, je m’agace de ne pas voir sur mon faucon tous les détails que j’aimerais y mettre. C’est pourtant simple, je ne les vois pas, voilà tout. Il est trop loin, trop flou, mais ma perception me fait croire que je ne vois que lui. Les grands contrastes sont posés, la lumière intense de cette journée d’avril se devine sur l’image. Je n’aurai pas les détails, j’aurai la lumière. Ça me va. Laisser un peu la place à la vision globale, sans se perdre dans les fioritures qui alourdissent la peinture.

J’aurai pourtant voulu m’approcher, me faufiler encore d’avantage entre les rochers et les replis de ce terrain côtier. Saisir les commissures du bec, l’organisation des plumes sur les ailes, les fines nuances sur la tête pour lui donner tout son caractère. Cette oiseau n’a pas un an et je l’espère encore un peu naïf. J’aurai voulu avancer, un peu plus, sans le déranger, toujours un peu plus et puis quoi ? Viendra ce moment fatidique tant reproché de s’être trop rapproché. Ce pas de trop qui le fera s’envoler. Pas cette fois-ci. A un retour de mon œil du papier à la longue-vue, il n’est plus là, pas plus que dans le ciel ou les alentours.
Évanoui.
De moi, il n’a probablement perçu que le sommet de ma tête et la longue-vue dépassant juste assez pour me laisser l’observer. Pas d’agitation, pas de crainte, pas d’attention particulière à mon égard. Situation idéale de l’animal qui fait sa vie et qui s’en va non par peur, mais par choix. Alors pourquoi vouloir gâcher cela en s’approchant toujours davantage ? Erreur de méthode. Laisser la nature venir, il n’y a rien de mieux. Cela mènera toujours à de plus belles observations sans le regret d’avoir gâcher une belle opportunité ou d’avoir déranger l’animal. Mais la proximité compte, sans aucun doute. Vous pouvez avoir le plus puissant des zooms, il ne remplacera jamais l’observation proche aux jumelles ou alors, Graal ultime, à l’œil nu.
Je fus frappé de cette évidence il y a une dizaine d’années de cela, quelque part dans le nord de la France, allongé par terre, la tête dans le vide, au-dessus de falaises côtières verticales à regarder le balais des fulmars et des tridactyles. Tout à coup, une agitation générale que traverse à toute vitesse un Faucon pèlerin sur fond de houle pour venir se poser juste en-dessous de moi. Pas besoin de jumelles, je le détaille de mes yeux et c’est percutant. Ça m’a saisi instantanément. La force d’une observation sans filtre, sans oculaire, lentille, verre ou écran. Juste l’observation directe, naturelle.
Et bien cela change tout.
Naturaliste endurci, combien d’heures ai-je passé derrière mes jumelles, ma longue-vue, à observer, m’épargnant l’effort d’un approche fastidieuse et le risque de déranger l’animal ? Mais pourtant, pourtant, la proximité a quelque chose d’irremplaçable. Nous sommes déjà touché lorsqu’un oiseau s’approche de nous dans notre jardin, ou mieux qu’il vient manger dans notre main, une mésange, un rougegorge. Alors imaginez un faucon, un aigle. Je pense à ces naturalistes, ces photographes à quelques mètres d’ours, de loups, de baleines. Je pense à ces artistes paléolithiques à quelques pas d’aurochs, de tarpans.
Je n’en finirai jamais de parler de ce lien au réel, que je souhaite le plus direct possible, engageant le plus possible nos sens. Loin de toute intellectualisation, ce contact ouvre une brèche involontaire qui envahit, submerge et fait sauter le cadre de nos certitudes. Saisi par le moment, la surprise et la beauté, les choses gagnent en perspective. Lorsque cela nous arrive, gageons de ne pas trop vite refermé cette brèche, il y a beaucoup à y gagner, à y apprendre.
 
Adrien
 
Faucon pèlerin
Aquarelle de terrain
31 x 41 cm

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