Blog

A l’Est

corneille_mantele_1200px_72dpi

« J’habite entre deux mondes. A l’Ouest, la côte. Les plaines ouvertes sur l’horizon, les plages, les champs et les lacs qui accueillent toute une diversité d’oiseaux qu’on observe facilement depuis la route. On y cherche avec excitation la rareté inattendue. A l’Est, les montagnes. Les forêts qui ferment la vue et les sommets qui couvrent le ciel. Le silence d’une faune rare et discrète dissimulée dans l’entremêlât des arbres et des rochers. Les heures d’effort à gravir sous le poids du sac-à-dos, pour une observation furtive. Ici pas de surprise, on rêve de voir les locaux.

D’un côté la profusion et la facilité. De l’autre, l’effort, l’immobilité, la solitude et l’attente. L’incertitude d’une rencontre improbable.
 
Effort contre Confort.
Pauvreté contre Richesse
Absence – Abondance
Fermé – Ouvert
Obscurité – Clarté
Attendu – Surprise
 
Rien à faire, mon choix reste le même : je pars à l’Est. Et l’hiver dans les montagnes norvégiennes, la vie se fait rare. Le rapport entre la quantité d’effort fournie et le nombre d’observations est disproportionné. Quand la frustration finit par me gagner, je reconsidère la côte et la facilité pour observer et peindre. C’est de là que vient cette Corneille mantelée. Assis dans la voiture au bord d’un champ, les sujets abondent et je peux peindre confortablement, sans les gants ou le sac-à-dos, sans le froid qui gèle l’aquarelle sur le papier, ou la pluie qui interrompt ou ruine une image prometteuse. Ici tout est facile et fluide. Pourtant, je ne suis pas à l’aise dans ces paysages. Ils apportent toutes cette diversité mais où que je regarde, je ne vois que l’absence d’une nature sauvage et libre. Ici tout n’est qu’angles et lignes droites, clôtures, champs, routes et jardins. Gestion, contrôle, organisation. Il y a de la diversité d’oiseaux, mais il manque tellement, tellement plus.
 
Cela me replonge dans un souvenir de ma première année universitaire. Jeune étudiant, j’ai eu la chance de suivre pendant quelque temps un projet de recherche sur l’impact des pratiques sylvicoles sur les oiseaux forestiers. Alors que je lisais un des ouvrages de références sur la question, je tombe sur ce paragraphe qui conclut que grâce à des coupes rases, on attire les oiseaux de milieux ouverts et que donc, on trouve une diversité d’oiseaux plus élevée. Conclusion, c’est une pratique à favoriser. Je me souviens encore tellement nettement de mon sentiment de révolte devant ces lignes. Je n’avais pas de mot pour qualifier une telle absurdité. Car oui, couper les arbres attire les espèces des milieux ouverts. Creusez donc un lac et vous aurez les oiseaux d’eau. Installez une carrière et vous finirez par avoir les espèces rupestres.
 
Et comble de l’absurde, après quelque temps, le lac se comble naturellement et les arbres repoussent dans les ouvertures. Il faut intervenir à nouveau pour préserver toute cette diversité et ainsi commence la douce et solide illusion de l’homme bienfaiteur de la nature. Sans lui, la nature se dégrade, se ferme, étouffe. Il devient le gestionnaire indispensable de son environnement. Attitude toute prétentieuse initiée par une double erreur.
 
La première, la nature est infiniment plus complexe et le niveau d’ignorance à son sujet est énorme. La seconde, malgré tout ce que nous savons déjà, nous refusons de comprendre, car cela impliquerait d’accepter notre inutilité. Nous refusons d’admettre que dans la grande majorité des cas, la meilleure façon de protéger la nature est de la laisser tranquille. Ne rien faire. Une nature libre et sauvage. Voilà qui fait froid dans le dos et poignarde en plein cœur notre propre importance d’espèce. Car non-seulement en l’absence de nos interventions, la nature se porte mieux, mais nous en bénéficions davantage.
 
Sur cette pente glissante, l’homme a finit par créer un monde où tout ce qu’il voit et expérimente a été créé ou influencé par lui. Un monde recréé à son image, en tuant le spontané incontrôlé. Se faisant il a donc fait le choix d’une attitude égo-centrique, ou plutôt specio-centrique. Tournant le dos au monde spontané et sauvage, il se regarde le nombril, son œuvre et ses congénères, le reste n’étant que ressource, et il tourne en rond dans cette prison dorée sans percevoir semble-t-il tous les signaux d’alarme.
 
La nature sauvage n’est pas l’ennemi mais le complément nécessaire à notre épanouissement tant individuel que sociétale. Je pars à l’Est car à passer ma vie à regarder ce miroir que me tend notre espèce à tout bout de champ, j’étouffe. Pas de misanthropie, simple équilibre.
 
Osez donc ne rien faire, ne pas intervenir, ne pas gérer ; laissez s’écouler les années, et observez, observez, observez.
 
Adrien

Triste nécessité

« Une mort pour une vie, principe fondamental de la vie sur Terre. Sentence qui peut être retardée, donner l’illusion d’être contournée, mais qui, quelle que soit la forme qu’elle prend, finira toujours par tomber. C’est la nécessité imposée par un monde fini, notre planète, sur laquelle la vie cherche à remplir chaque recoin depuis des

Continuer à lire »

Sur le seuil

« L’identification n’est que la porte d’entrée du naturalisme et j’ai le sentiment d’être resté sur le seuil. Toute ma vie, j’ai fait des listes. J’ai identifié, oiseaux après oiseaux, par centaines, par milliers, apprenant au passage quelques faits sur leur biologie. Mais que sais-je vraiment de la vie des animaux que j’observe, au-delà de

Continuer à lire »

Croire encore au printemps

Le timing était pourtant parfait. Le printemps était là, puissant de tout ce renouveau. Une neige encore épaisse fondait à vue d’œil. Les oiseaux migrateurs venaient d’arriver, un concert de Pic noirs, épeiches, de Grives mauvis et draines. La débâcle avait libéré la rivière des glaces, laissant place aux Loutres, aux Garrots et Harles bièvres.

Continuer à lire »