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Chrono – logique

Le temps a cela d’étrange qu’il s’écoule à sa guise, variant selon les circonstances.

Il est 21h00. Dans ce petit village coincé au fond d’un fjord, je claque la porte de la voiture et attaque la montée. Il est déjà tard. J’espère arriver sur place avant les nuages… Bientôt minuit. Je suis dans mon duvet, allongé au bord de cette immense tourbière, contre un grand rocher qui m’abrite du vent. Les nuages toujours plus bas ont fini par m’envelopper et font disparaître le paysage et la lumière estivale. Sur ce matelas de végétation, je plonge dans un sommeil que seul viendra perturber le cri d’un Lagopède des saules. Imperceptiblement, le temps ralenti.

Le lendemain, j’explore ces montagnes. J’arpente le paysage en tout sens, marchant d’un sommet à l’autre. Rapidement, j’oscille entre l’enthousiasme de ce que je pourrais observer et la frustration de ne rien voir ; le plaisir d’imaginer qu’il devrait y avoir ici des élans, rennes et bœufs musqués, et la tristesse de n’y voir que des moutons en pâture dans cette nature finalement pas si sauvage. Comme d’habitude, le doute finit par s’installer : aurais-je le temps d’observer quelque chose, de ramener un croquis ?

Viennent les premières interruptions dans cette frénésie. Le cri d’un Pluvier doré, un Pipit farlouse le bec rempli d’insectes. Autant de rappels à la réalité qui me font m’asseoir sur ces tapis de mousses pour chercher, observer, élargir le regard. Doucement, la nature impose son rythme.

Peu à peu, l’impatience s’efface. J’oublie la montre et la lumière devient le rythme du temps qui passe. Alors que je courrais après lui, voilà le temps qui se dilate, qui s’allonge. Et au lieu d’en vouloir toujours plus, je m’y installe et je le regarde couler, doucement.

Les journées passent, sous le soleil, dans le brouillard, abrité sous un surplomb rocheux en attendant que la pluie cesse. Puis finalement, repus de cet endroit, un soir, je reprends le sac-à-dos vers une nouvelle destination. Il est tard, la lumière décline. A mesure que je monte sur ce col, le vent se renforce. Courbé sous le poids du sac, j’observe les nuages courir au ras de ma tête et balayer le monde qui m’entoure. Le silence s’installe, les couleurs s’effacent et la solitude se renforce. Le brouillard rafraîchit le corps échauffé par l’effort et alors que je prends un instant pour souffler, assis sur un rocher, je profite de ce moment qui n’en finit pas, de cette intemporalité.

D’un pas tranquille et fatigué, j’attaque un vallon rocheux en pente douce. A quelques mètres de moi, un lagopède s’envole. Je plonge au sol pour casser ma silhouette verticale dans l’espoir de voir l’oiseau se reposer. Je ne bouge pas d’un cil. In extremis, cette femelle atterrit au sommet d’un surplomb rocheux à quelques dizaines de mètres de moi. A cet instant, le temps s’arrête net.

Je n’ai d’yeux que pour cet oiseau et une seule idée en tête : réussir à le dessiner sans le faire fuir, mais tout le matériel est dans le sac-à-dos. Je guette la moindre de ses réactions. Immobile, seuls mes bras bougent, au plus près de mon corps. D’abord retirer les mains des bâtons de marche, détacher le sac et me contorsionner pour retirer les sangles. Tendre lentement le bras pour le retourner, l’ouvrir, attraper le trépied que je fais glisser contre moi et le déplier comme je peux. Recommencer avec la longue-vue. Attraper papier, crayon et installer la planche à dessin en équilibre sur mes cuisses.

La pointe du crayon se pose sur le papier. Dans ma précipitation, je rate ma première tentative. Je retourne rapidement ma feuille, respire profondément et recommence. La véritable observation débute. Les formes principales s’installent. Longue-vue, papier, longue-vue, papier, longue-vue… La profusion de détails est tout aussi fascinante qu’épuisante. L’oiseau finit par se coucher dans un semblant d’apaisement, mais elle ne me quitte pas des yeux. Face-à-face, nous sommes tous les deux immobiles, le regard fixé sur l’autre. Un nouveau coup d’œil sur le papier, retour à la longue-vue, elle n’est plus là. Discrètement, elle a disparue pour retourner à sa vie mimétique.

Retour à la réalité. Une heure-et-demi s’est écoulée.
Une heure-et-demi pendant laquelle mon monde s’est limité au rectangle de ma feuille et au cercle de ma longue-vue.
Une heure-et-demi passée en un instant.

Dans la conscience de ces moments si présents, le temps n’existe plus. Il disparaît dans l’action.
C’est ainsi que la nature impose au naturaliste ce rythme si paradoxal. L’éternité de l’attente, de la patience, de la contemplation, parsemée d’instants foudroyants d’observation et de fascination.

Mon frère, psychologue, m’a un jour enseigné qu’il existe le temps chronologique et le temps logique. Nous vivons essentiellement dans le premier, cadrant nos quotidiens dans un temps imparti ; chrono. Le second impose de prendre le temps nécessaire à chaque chose ; logique. La nature ne s’encombre pas du premier et ne laisse d’autre choix que de se soumettre à son tempo. Chaque séjour dans la nature est un basculement de l’un à l’autre, du chrono au logique.

Adrien

Croire encore au printemps

Le timing était pourtant parfait. Le printemps était là, puissant de tout ce renouveau. Une neige encore épaisse fondait à vue d’œil. Les oiseaux migrateurs venaient d’arriver, un concert de Pic noirs, épeiches, de Grives mauvis et draines. La débâcle avait libéré la rivière des glaces, laissant place aux Loutres, aux Garrots et Harles bièvres.

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Structuré par le terrain

En début d’année, j’ai fait un petit tour le long de certains lacs côtiers réputés pour leur avifaune. La mer d’un côté, et de l’agriculture intensive de l’autre. Le temps ne faisait que rajouter à cette austérité, avec un plafond de nuages bas et un puissant vent de sud glacé et incessant. Peu de choses

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Tout en patience et en prudence

J’ouvre les yeux de toutes mes forces. Après une heure d’une sieste trop longue, je me réveille groggy, pâteux, la vision floue et la tête lourde. Allongé dans l’herbe la tête sur le sac-à-dos, mes yeux sont remplis du ciel bleu et mes oreilles pleines du silence de cette chaleur. Même la mer s’est tu.

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